La récente décision des autorités américaines d’interdire l’entrée des citoyens haïtiens sur leur territoire – à de rares exceptions près – résonne comme une humiliation nationale. Dans une société déjà asphyxiée par la violence, l’effondrement institutionnel et le désespoir social, cette mesure radicale agit comme un nouveau coup porté à une nation à genoux. L’exclusion n’est pas seulement géographique : elle est symbolique, politique et morale.
Derrière cette décision se cache un constat qui fait froid dans le dos : Haïti n’est plus perçu comme un État fonctionnel. Livré à lui-même, le pays est à la dérive, sans cap ni direction. L’État a abdiqué. Les institutions sont des coquilles vides, incapables d’assurer la sécurité, la justice ou même la représentation diplomatique. Le pays donne au monde l’image d’un bateau fantôme, sans boussole, sans capitaine, sans espoir.
Ce rejet américain agit comme un miroir brutal tendu à une élite politique irresponsable et cynique, parfois complice du chaos. Alors que les bandes armées règnent en maître dans la capitale, que les routes nationales sont coupées, que les écoles ferment et que les hôpitaux s’effondrent, ceux qui prétendent gouverner s’enferment dans une bulle d’indifférence ou de corruption. La diplomatie, quant à elle, est confiée à des parents, des amis et parfois même à des amateurs. Le manque de confiance de la communauté internationale est étonnant.
L’indignation populaire face à cette interdiction d’entrée aux États-Unis est légitime, mais elle ne peut masquer le fond du problème : l’effondrement interne. Aucun pays ne respecte une nation qui ne se respecte pas elle-même. Aucun gouvernement étranger ne tend la main à une puissance qui abdique ses responsabilités les plus élémentaires. Nous devons cesser de jouer les victimes alors que nous sommes nous-mêmes les architectes de notre propre ruine.
Haïti ne sortira pas de l’isolement international tant qu’il n’aura pas retrouvé sa légitimité interne. Il est temps que les forces vives du pays – intellectuels, journalistes, jeunes, entrepreneurs, membres de la diaspora – rompent le silence, demandent des comptes et reconstruisent ce qui peut encore l’être. L’heure n’est pas aux lamentations, mais à la reconquête de notre dignité perdue.