L’accession de deux représentants du patronat aux plus hautes fonctions exécutives en Haïti ne représente pas un simple changement de garde. C’est l’acte de naissance officiel, et terriblement dangereux, d’une monstruosité politique : la fusion structurelle de l’État avec une oligarchie économique. La ligne de partage entre l’intérêt général et les intérêts privés est en train d’être non pas franchie, mais effacée.
Nous ne sommes plus dans l’ère des collusions honteuses et des influences occultes. Ce temps est révolu. Désormais, le pouvoir n’est plus influencé ; il est incarné. Il porte un nom : la « bourgeoisie de prédation ». Cette caste ne doit pas sa fortune au génie entrepreneurial, à l’innovation ou à la création de richesses. Son business model est le pillage organisé des ressources nationales, la rente institutionnalisée et le monopole érigé en système. Elle prospère dans une symbiose morbide avec les circuits de l’économie informelle et, souvent, avec le crime organisé, dont elle est la face « légitime ». Son enrichissement spectaculaire n’est pas une coïncidence ; il est l’exact miroir de l’appauvrissement collectif, la traduction mathématique d’un transfert de richesse du plus grand nombre vers une infime minorité.
Le chef-d’œuvre de cette oligarchie est d’avoir confisqué l’État lui-même pour légaliser son système d’exploitation. Les lois deviennent les instruments d’un jeu truqué. Les marchés publics, la régulation économique, les politiques fiscales sont désorientés, détournés de leur finalité pour n’être plus que des machines à générer du profit privé. L’État, qui devrait être le rempart contre les abus de pouvoir économique, en est devenu la principale courroie de transmission.
Face à cette confiscation de la souveraineté populaire, une révolution politique et économique est indispensable. Il ne s’agit pas d’un soulèvement de plus, mais d’un travail de démantèlement méthodique de l’architecture prédatrice qui étouffe la nation. L’objectif doit être clair : démonter les monopoles, briser les rentes, assainir les finances publiques et construire, sur les ruines de ce système vorace, un État tourné vers la production réelle, la justice sociale et l’intérêt général. Un État qui sert son peuple, et non une poignée de prédateurs.
Le peuple haïtien est aujourd’hui confronté à un choix historique : se résigner à être la proie d’une oligarchie qui a fusionné avec l’État, ou engager la lutte décisive pour lui arracher sa souveraineté. Pour l’avenir d’Haïti, il n’y a pas de troisième voie.