Dans le paysage judiciaire haïtien, Jean Ernst Muscadin, chef du Parquet de Miragoâne, est une figure controversée, souvent perçue comme un « super flic » dans le département des Nippes. Par ses pratiques expéditives, Muscadin semble incarner une justice parallèle, éloignée du cadre établi par l’Etat de droit. Mais la question qui se pose est la suivante : cette justice alternative est-elle tolérée, voire encouragée, par l’Etat haïtien lui-même ?
Les récentes actions ou inactions des autorités face aux méthodes de Muscadin permettent d’en douter. Alors que le ministre de la Justice, Carlos Hercule, s’est empressé de révoquer les commissaires James Jean Louis et Wadson Azor pour des faits jugés moins graves, aucune action sérieuse n’a été envisagée à l’encontre de Muscadin. Pourtant, les charges qui pèsent sur lui – exécutions sommaires de criminels présumés sans procès équitable – devraient normalement susciter une réponse rapide et ferme de la part de l’État. Ce silence fait naître des soupçons de complicité ou, à tout le moins, de tolérance tacite.
La popularité croissante de Muscadin auprès de la population, notamment dans la région des Nippes, pourrait être l’une des raisons pour lesquelles les autorités hésitent à agir. Dans un pays en proie à l’insécurité et à la violence, son approche brutale mais efficace semble séduire une partie de la population. Les réseaux sociaux regorgent de témoignages et de commentaires louant son action. Mais ce soutien populaire pose un dilemme : jusqu’où l’État peut-il accepter des excès au nom de l’efficacité ?
Jean Ernst Muscadin, à la tête de son équipe de « sécurité rapprochée », traque, juge et exécute sans autre forme de procès les individus qu’il soupçonne d’être des bandits. Ces méthodes font penser à une justice d’expédients qui, loin de respecter les principes de l’Etat de droit, fonctionne au gré des humeurs et des jugements individuels d’un seul homme. L’histoire tragique d’Adler Ramolien, fusillé sans jugement, met en lumière les risques de telles pratiques : combien d’innocents, privés de leur droit à un procès équitable, ont ainsi perdu la vie ?
Cette situation met en lumière un Etat qui, au lieu de protéger ses citoyens en appliquant une justice équitable, semble se réfugier dans l’inaction. L’affaire Muscadin symbolise cette faiblesse structurelle. Les autorités ferment les yeux sur des actions qui, bien que populaires, sapent les fondements mêmes de la démocratie et de l’État de droit. Muscadin se permet même de glorifier ses actions sur les réseaux sociaux, défiant l’autorité du Premier ministre Garry Conille, qui avait explicitement interdit aux fonctionnaires d’agir sans son aval public.
En conclusion, la figure de Jean Ernst Muscadin incarne un double paradoxe : celui d’un homme adulé pour ses méthodes radicales, mais qui, en s’écartant des normes judiciaires, révèle les failles profondes d’un Etat en difficulté. Une justice expéditive, tout en répondant à un besoin immédiat de sécurité, pourrait bien miner à long terme la démocratie haïtienne. Muscadin pose toute la question de l’indépendance de la justice et de la responsabilité de l’Etat. Laisser faire, c’est cautionner un glissement vers l’anarchie institutionnalisée.